Le piège en question vise une revue soupçonnée d’être prédatrice, c’est-à-dire qui publie contre paiement sans vérification du contenu. «Nous visions précisément ce journal, explique le chercheur, car un mois plus tôt y paraissait un article sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19. La revue était présentée comme sérieuse par des personnalités politiques qui, pour faire croire que leur position s’appuyait sur une étude scientifique, abusaient de ce système.» Les quatre auteurs font alors le pari de soumettre un article canular et prouver que cette revue publie n’importe quoi.
Compilation d'erreurs
Au-delà de l’aspect comique de la situation, cet article, qui a fait beaucoup rire ses auteurs et son public, réunit un nombre impressionnant d’erreurs méthodologiques: des grands écarts d’âge entre le groupe contrôle (75 ans) et le groupe traité (13 ans), des effectifs trop petits, des statistiques fausses… «Ce sont des choses qu’on a vues ces derniers temps. En raison de la crise liée au coronavirus, tout se publie très vite, tonne Florian Cova. Cela crée beaucoup de bruit, des résultats inexploitables.» Indignés par ce manque de rigueur scientifique, les quatre auteurs espèrent également dénoncer cette situation.
«C’est une question qui me préoccupe, car je fais la moitié de mes recherches en psychologie. Or, ces dix dernières années, la discipline est passée par de graves crises, dites de la reproductibilité: de grandes expériences n’ont jamais pu être reproduites. Cette situation a conduit à une remise en cause profonde du domaine permettant d’en identifier rapidement la raison. Les scientifiques ne falsifient pas leurs données, mais utilisent des méthodes statistiques ou méthodologiques qui ne sont pas assez rigoureuses et qui donnent lieu à de faux résultats. Depuis, de «bonnes» pratiques ont été élaborées et sont encouragées. Malheureusement, dans le contexte de la crise, non seulement on ne suit plus ces conseils, mais en plus on défend publiquement le fait de ne pas le faire.» Pour lui, c’est probablement la raison du succès de leur article canular auprès de la communauté scientifique, qui a reconnu ces manquements à la rigueur et a apprécié de les voir épinglés.
«Aucun relecteur sain d'esprit
ne pouvait laisser passer de tels propos»
Ces erreurs grossières n’ont pourtant pas freiné les relecteurs. Car relecture, il y a eu. «Ça a été la grosse surprise. Nous nous attendions à ce qu’ils encaissent l’argent et publient l’article. Mais non, des personnes ont vraiment relu et fait semblant d’évaluer nos travaux. Cela peut faire illusion, mais dans notre cas, nous savons qu’aucun relecteur sain d’esprit ne pouvait laisser passer de tels propos. Dans l’article, nous expliquons en effet que des participants, membres de nos familles, meurent des suites de l’expérience et que nous avons cherché à déterrer les cadavres pour poursuivre les analyses. Le tout sans l’avis d’un comité d’éthique.»
Le phénomène des revues prédatrices, dont on évalue le nombre à environ 8000 toutes disciplines confondues, n’est pas nouveau et est bien connu de la communauté scientifique. Pour Florian Cova, «ce qui change, c’est qu’il touche désormais le grand public.Généralement, une étude atteint une large audience après avoir fait écho dans le milieu scientifique. Les articles parus dans des revues prédatrices, eux, ne sont pas lus et ne sont pas relayés. Ce que l’on observe aujourd’hui, ce sont des personnalités, journalistes ou politiciens, qui utilisent ces journaux pour appuyer leurs dires dans l’espace public. Le problème est sorti du milieu proprement scientifique.»